jeudi 15 mars 2018

L’histoire de Jean-Luc la perche




Ce petit texte fait suite à la proposition de certains groupes défenseurs des animaux d'interdire la pêche sportive à Paris et, plus généralement, d'interdire la pêche avec remise à l'eau des prises en l'associant à un acte de torture animale occasionnant de la souffrance aux poissons. Il est à noter qu'elle est déjà effective dans certains pays comme la Suisse ou bien encore l'Allemagne. Bien que maintenant exilé au Québec, ce mouvement m'interpelle et m'inquiète beaucoup... Je vais parler ici de la souffrance et de la cruauté tant décriée par ces groupes... pas d'un point de vue biologique vu que les études d'ailleurs ne s'entendent pas, mais plus d'un point de vue général. C'est quoi la souffrance et la cruauté pour un poisson? Est-ce qu'on peut la comparer à notre vision de la souffrance? C'est quand même d'eux qu'on parle, les poissons, alors mettons-nous dans leur peau... 


Pour ce faire, je vais vous raconter l’histoire de Jean-Luc la perche. Pourquoi s’appelle-t-elle Jean-Luc tout d’abord? Parce que j’ai décidé de lui donner un nom pour qu’on puisse l’associer à une entité propre, douée de conscience, pour aller au bout de l’anthropomorphisme et d’en voir les limites. L’anthropomorphisme, c’est quoi? C’est la tendance à associer aux animaux des réactions et des émotions humaines. Ce petit texte se veut à la fois éducatif, humoristique et un brin satirique pour mettre en relief la souffrance et la cruauté vécues par un poisson le long de sa vie et tenter de faire comprendre aux personnes ne connaissant rien du milieu aquatique ce qui se passe là-dessous et enfin de voir l’impact « psychologique et physique » de la pêche sportive avec remise à l’eau sur la vie d’un poisson.

Voici donc l’histoire de Jean-Luc la perche. Un beau jour de printemps, par une matinée ensoleillée du moi d’avril, Jean-Luc est encore dans son œuf, il ne comprend pas trop ce qui se passe à l'extérieur, ça brasse un peu mais sans plus. Si sa vue était développée suffisamment à ce stade-ci, il pourrait voir une horde de poissons de différentes espèces participer au génocide de ses frères et sœurs. Jean-Luc, le chanceux, fait partie des quelques centaines de survivants (sur plusieurs dizaines de milliers d’œuf) à sortir de son œuf et pouvoir ainsi nager librement dans les eaux turbides de ce Fleuve qui l’a vu naître. Ce fleuve, c’est la Seine.  Accompagné de ses valeureux frères et sœurs, il nage, confiant, à travers le courant qui charrie des éléments bizarrement colorés et dont la senteur ne lui indique rien de bon… Au détour d’une roche, Jean-Luc et ses frères et sœur sont soudainement attaqués par un de leur congénère, mais beaucoup plus gros! Ce dernier s'avance lentement vers Jean-Luc et lui dit, solennellement «Jean-Luc... je suis ton père...», avant d'essayer de le bouffer! Effectivement, si Jean-Luc, qui a eu une nageoire atrophiée au passage, avait eu le temps et la possibilité de lui demander un test de paternité, il se serait rendu compte que ce dernier est véritablement un de ses pères biologiques! S’il avait pu aussi connaître cette notion de paternité, il aurait crié : « Papa…. Nooonnnnnnnnnnnnnn… mais pourquoi tu fais ça!!! C'est moi, Jean-Luc, ton fils!!! ». Probablement aussi qu’une séance de psychothérapie eût été nécessaire à ce moment-là. L’un des pères biologiques de Jean-Luc, aidé par la suite de ses amis, s’active donc à décimer la horde… qui n’est désormais composée que de quelques dizaines d’individus. Des poissons plus filiformes, des alevins de brochet de l’année, participent aussi à l’orgie. Ils sont nés quelques deux mois plus tôt, la nature faisant bien les choses, car cela leur permet d’avoir directement une bonne quantité d’alevins de perches à manger au tout début de leur croissance. Bref… Jean-Luc, survivant, vient, en à peine quelques heures, de vivre des actes d’une barbarie sans pareille, de massacre, de cannibalisme et d’infanticide… et ça ne fait que commencer!

Au bout d’un mois de vie, Jean-Luc a failli se faire dévorer un nombre incalculable de fois mais il s’en est sorti! Non sans séquelles par contre comme le prouve les traces de mâchoire sur son flanc… Mais il a réussi à passer au travers… Il faut dire aussi qu’il n’aurait pas réussi à survivre s’il n’avait pas manger certains de ses frères et sœurs plus faibles et nés plus tard qui lui ont donné l’énergie nécessaire pour avoir une bonne croissance. « Quoi??? T’as bouffé tes petits frères et tes petites sœurs?? Euhhhh oui, pourquoi? Il y a un problème à ça? ». Bref notre sympathique et trublion Jean-Luc est désormais un des plus gros membre de sa « famille » dont les rapports « humains » sont un peu compliqués… Ah mais oui, c’est vrai, Jean-Luc est un poisson pas un humain, je commençais à l’oublier! Je m’y attache que voulez-vous…

Au bout de 2 ans… Jean-Luc est déjà mature pour se reproduire! Il a le ventre plein d’œufs. Euh… attendez-là… Jean Luc est un mâle, ça ne marche pas! Ah oui mais ce que Jean-Luc ne sait pas, c’est que les quantités d’œstrogène provenant des fameuses pilules contraceptives présent dans l’eau et transitant par les réseaux d’égout via notre urine ne sont pas traitées dans les stations d’épuration… Dans son secteur, très pollué, les quantités d’œstrogène sont excessivement élevées! Et cette quantité anormale d’hormone a fait opérer à Jean-Luc un changement de sexe! Jean-Luc est une femme désormais! Il faudrait lui demander s’il s’en trouve traumatisé, il doit être un peu perdu le Jean-Luc… Une chance, il a pris un abonnement chez son psychologue car il a définitivement trop de choses à traiter… On pourrait dire que, finalement, Jean-Luc est constamment, comme tous ses congénères, en syndrome post-traumatique... Faudrait que je lui trouve un autre nom aussi pour ne pas le torturer psychologiquement… Ah non tant pis, continuons de l’appeler Jean-Luc, c’est plus simple…


1 ans plus tard, on est en été… l’eau est très chaude. Jean-Luc a du mal à trouver son oxygène, ce dernier étant en quantité moindre dans l’eau ainsi réchauffée… Il se sent faible… Un sillon de liquide verdâtre vient l’entourer. Il suffoque!!! Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’une industrie a volontairement déversé des polluant plus haut dans le fleuve… Il voit ses congénères poissons, prédateurs ou proies, agoniser lentement. Il panique… il souffre... l’heure est proche… mais il relativise aussi, chaque jour vécu dans le fleuve est une lutte pour sa survie. Il sent que cette fois-ci c’est fini. Jusqu’au moment où un filet vient le capturer. De drôles d’animaux bipèdes s’empressent de le mettre dans un bac avec une eau un peu plus fraîche, mais pas trop pour éviter de lui faire un choc thermique… S’il savait lire, il lirait « Fédération départementale pour la pêche et la protection des milieux aquatique » sur leur écusson. Des petites bulles d’air aide l’eau à récupérer son oxygène dissout et il se sent ragaillardit. Jean-Luc se sent ensuite déversé dans un autre milieu… l’eau y est un peu plus fraîche et les habitats sont nombreux, il y voit du bois mort, idéal pour se cacher, des bancs d’ablettes… il va s’y plaire, c'est sûr! Jean-Luc a été déposé dans une autre portion de la Seine, plus en amont, suite à la vigilance de pêcheur passant par là et qui ont alerté la Fédération départementale pour la pêche et pour la protection du milieu aquatique, elle-même financée par les pêcheurs sportifs. Jean-Luc aurait sans doute apprécié également que la Mairie de Paris s'attaque au problème de pollution de la Seine, qui lui a aussi fait changer de sexe, contre son gré, je vous le rappelle, mais le sujet à l'ordre du jour était plutôt l'interdiction de la pêche sportive associée à un acte de torture animale. Le fait de tolérer la pollution et laisser passer certains polluants au niveau du traitement des eaux usées, ça le fait souffrir aussi Jean-Luc... La ville de Paris aurait-elle commis ainsi un acte de torture animale? Si Jean-Luc pouvait comprendre tout ça, il dirait : "What The Fuck?" (bon il faudrait aussi qu'il sache parler anglais, j'avoue, je pousse un peu là!). D'ailleurs, il ne sait même pas ce qu'est la pêche sportive encore... Tremmmmble Jean-Luc, tremmmble... les pêcheurs rôdent.... niak niak niak (rire diabolique pour faire peur à Jean-Luc).

1 ans plus tard, Jean-Luc est dans la force de l’âge! Il a appris à éviter certaines zones occupées par les sandres, d’autres par les silures ou bien encore les repaires des brochets. Il aime bien aussi tourmenter et torturer les petites ablettes situées près de la petite écluse. Certaines fois d’ailleurs, Jean-Luc n’a pas nécessairement faim… il veut simplement rappeler aux ablettes s’aventurant sur son territoire qu’elles ne sont pas les maîtres du secteur, les blessant mortellement au passage. Il réagit ainsi plus par instinct de prédation que poussé par la faim. Ces ablettes mortes sont rapidement dévorées par son amie discrète qui vient faire le ménage des bas-fonds une fois la nuit arrivée, il s'agit de Josiane l’anguille, amie qui a failli le bouffer d’ailleurs une fois…  Sacré Josiane, quelle boute-en-train celle-là! Jean-Luc se rappelle aussi cette journée là où il a éventré cette ablette difforme qui avait du mal à nager! C’était vraiment très drôle de voir ses organes explosés qui pendouillaient sur son flanc! Hahahaha Jean-Luc sourit intérieurement, quelle conne cette ablette… hahahaha C’est d’ailleurs un peu dans cet état d’esprit que ce jours-là, Jean-Luc voit cette chose brillante, ressemblant à une ablette, qui s’approche effrontément de lui! Ni une ni deux, tel un éclair zébré, Jean-Luc fond sur sa proie pour la chasser de son territoire… Mais quelque chose de bizarre se produit… il est tenu par sa lèvre supérieure et ne peut pas nager librement! Il sent bien quelque chose au niveau de sa lèvre mais se n'est rien comparé à son attaque précédente par un brochet qui l'avait éventré. Il est paniqué et lutte pour sa vie, tirant de toutes ses forces. Tout à coup, il retrouve le même genre de filet vu un an plus tôt… Le même genre de bipède, tout souriant, le prend par la mâchoire et le place devant lui et un autre bipède tenant un petit appareil rectangulaire… Jean-Luc ne comprends pas trop ce qui se passe. Puis bizarrement et rapidement… le bipède le remet dans l’eau en prenant bien soin d’enlever le crochet de sa mâchoire et en le soutenant par le flanc, ce qui aide beaucoup Jean-Luc, épuisé par cette expérience pour le moins bizarre, à recouvrir ses forces… et dans une contraction vive de ses muscles endoloris, il active sa caudale et se propulse au milieu de la rivière, vers les profondeurs. Ce qui aurait bien pu lui passer par la tête à ce moment-là c’est : « il est vraiment tarte celui-là… il m’avait, mais il m’a relâché! ». Jean-Luc reverra d’autres bipèdes du genre 2 ou 3 fois dans sa vie… il s’était pourtant habitué à éviter certaines proies faciles qui l’ont piégé par le passé, mais à chaque fois, une nouvelle imitation le berne à nouveau. Pas grave se dit-il, je préfère ça que les brochets, sandres, silures et même hérons… qui eux sont bien plus intelligents et redoutables! D'un autre côté, si Jean-Luc pouvait avoir suffisamment d'intelligence pour pousser la réflexion il se dirait : "ils font comme moi avec les ablettes certaines fois, ils me capturent ainsi par instinct de prédation sans doute... ils me ressemblent pas mal en fait!"

Aujourd’hui, il est plus difficile à prendre que jamais par les fameux bipèdes, il continue… Ou elle continue c’est vrai, excuse moi, Jean-Luc… Enfin excuse moi de t’appeler Jean-Luc parce que tu es une femelle… bref! Jean Luc continue encore aujourd’hui de torturer les ablettes et autres gardons… adore chasser ses congénères juste éclos au printemps, même sa progéniture!… Il vit sa vie de perche, dans ce monde hostile, mais à la fois merveilleux… Ce monde silencieux et invisible qui est sous la surface de l’eau et qu’on a tendance à oublier.    

Maintenant pensez-vous sincèrement, suite à cette introspection dans la vie de Jean-Luc, que ses captures ait été vécues comme  "l'élément" traumatisant de sa vie? Quand bien même il n'aurait pas survécu à une ultime manipulation d'ailleurs, malgré toutes les précautions d'usage, Jean-Luc aurait fait le bonheur de  son amie Josiane (vous vous souvenez, l'anguille). Pensez-vous sincèrement que la souffrance d’un poisson peut être réellement comparée à celle des êtres humains ou d'autres espèces animales dont la vie est moins "traumatisante"? Même si les études ne concordent pas, ne pensez-vous pas qu'aux vues de la souffrance endurée par les poissons tout au long de leur vie "normale", sans croiser un pêcheur, il serait si aberrent que ça de penser que l'évolution a fait en sorte qu'ils ne ressentent pas la douleur, ou tout du moins différemment? Allons plus loin, ne pensez-vous pas que ce que nous percevons comme de la souffrance et de la cruauté sont vus, par les poissons, comme des éléments "normaux" de leur vie qui font partie intrinsèquement des rapports "sociaux" qu'ils ont avec leurs congénères? Pensez-vous que la vie de Jean-Luc aurait été meilleure sans les pêcheurs et les moyens financiers récoltés pour le protéger, lui et son habitat? Pensez-vous que le plus nécessaire dans la vie de Jean-Luc pour son épanouissement soit la compassion et les câlins? Je vous laisse le soin de dresser vos propres conclusions…

En passant et pour finir, c'est bien beau tout ça... Mais pourquoi pêcher alors?

Si l’Humain doit justement se recentrer sur la nature, il faut qu’il assume qu’il en fait partie. Les écosystèmes sont basés essentiellement sur des relations de prédateurs / proies. Lorsqu’on va à la pêche, nous avons la chance de pouvoir exercer cet instinct de prédation, cette communion avec cet écosystème aquatique pour en comprendre les rouages, mais nous pouvons aussi sélectionner nos prises pour préserver les géniteurs ou bien les juvéniles en les remettant à l’eau. Nous en comprenons aussi la fragilité, bien mieux que les observateurs extérieurs ne le comprendrons jamais, car nous le vivons au quotidien. Le jeu de prédation est d'ailleurs très présent dans le monde animal, ne serait-ce que pour transmettre ce savoir à sa progéniture, ou bien encore par pur instinct... Devons-nous nous en soustraire? Sommes-nous déjà des extra-terrestres qui ne se considèrent plus comme appartenant au biotope qui est la Terre?
Les autochtones l’avaient compris... Se détacher de ce lien qui nous unit avec tous les êtres vivants de la planète n’est pas souhaitable. Assumons notre appartenance au monde vivant et à notre place de super prédateur, tout en respectant les écosystèmes fragiles qui le compose. Comme nous l'avons vu, le monde aquatique n’est pas peuplé de bisounours... c’est la guerre là-dessous où n’importe quel poisson essaye de bouffer ses congénères, nous ne faisons que participer à ce lien séculaire. Les poissons ainsi leurrés ne se rendent à peine compte du fait qu’ils soient passés de prédateurs à proies l’espace d’un instant... pour retrouver leur liberté dans l’arène aquatique en se rappelant qu'eux aussi peuvent se retrouver à un réseau trophique inférieur. J'ai énormément de respect pour les poissons et je suis conscient des étapes qu'ils doivent franchir dans leur cycle de vie... Surtout pour les vieux poissons que je manipule avec précaution et avec tout le respect qui leur est dû après des années de survie dans ce monde hostile... mais ne tombons pas dans l'anthropomorphisme! Je trouve aberrant de considérer le catch and release comme de la cruauté animale car nous ne faisons que faire communion avec la nature, tout en assumant notre rôle de prédation. La culpabilité de cruauté animale est une notion bien anthropique... Ne dit-on pas que la nature est cruelle lorsque nous voyons un lion bouffer une gazelle? Ne trouvons-nous pas cruel qu’une fouine bouffe une portée d’oisillons? Que faire si votre chaton chéri attaque une portée de lapereau juste par plaisir? Qu'en est-il des invertébrés que nous piétinons sans le savoir? Les plantes réagissent aussi aux stimulis extérieurs comme la musique, sont-elles dotées d'une conscience que nous n'avons pas décelée encore? Qu'en sera-t-il quand on nous dira que les plantes souffrent? Notre espèce s'éteindra?  En tant que super prédateur au sommet de ce monde complexe, et en la quasi-absence de prédateurs pouvant nous rappeler notre place, nous nous dissocions tranquillement de nos liens avec notre écosystème. La pêche et la chasse sont les seules activités qui nous rappellent cet équilibre du vivant et notre appartenance aux liens complexes qui nous unissent avec la nature dont la souffrance et la cruauté font partie intégrante. Je trouve que la vision des activistes pour la "lutte contre la souffrance animale" est déconnectée du réel et du vivant... Se voiler la face en regardant notre monde à travers une cloche de verre, c'est oublier que nous en faisons partie. Respectons-le mais vivons-le aussi!

Guillaume Delair alias «Crinqué»













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