mardi 14 janvier 2014

Musky monstres 2009

Ça me taquinait déjà depuis un moment... cela faisait un an que j'étais au Québec à l'époque et je n'avais pas eu la chance de me mesurer à l'ultime prédateur d'eau douce du Québec : j'ai nommé le maskinongé, appelé aussi maski, masky ou musky. Ce proche cousin du brochet, dont l'aire de répartition se situe en Amérique du nord, peut atteindre des tailles très imposantes, le record actuel étant de 1m47 pour environ 30 kg (58 po pour 65 lbs) !

Afin de mettre toutes les chances de mon côté, je décide de faire affaire avec un service de guidage. Mon pote Raph, qui dans un premier temps hésitait à m'accompagner, se décide finalement. La réservation est faite et... l'attente est longue!

On est en juillet 2009, c'est le grand jour! La température de l'eau est stable et au beau fixe depuis plusieurs jours... la journée s'annonce confortable. Espérons qu'elle soit aussi productive!

On arrive sur les lieux à 6h, le temps de discuter un peu avec nos deux guides de la journée, qui sont en fait deux frères passionnés de maskinongé, et d'admirer le joli petit joujou qui va nous promener toute la journée... et c'est parti mon kiki!


«C'est parti mon kiki !»
Comme j'ai déjà un petit creux, n'ayant pas eu le temps de déjeuner, je sors une des 3 bananes que j'avais ramenées de la maison... JF, l'un des guides, me dit : «Est-ce que tu savais que chez nous, il y a une superstition comme quoi les bananes portent malheur sur un bateau de pêche???» Bien entendu, je n'en avais aucune idée et je ne suis pas d'un naturel superstitieux... on va vérifier si j'avais tort ou non!

Une fois arrivé sur un premier spot prometteur, on commence à discuter matériel. D'entrée de jeu, je dis à JF et JP, nos deux guides, que je préfère prendre les musky au casting plutôt qu'à la traîne... je trouve ça bien évidemment plus sportif et plus riche en adrénaline! Ce qui fait tout à fait leur affaire! N'étant pas encore équipé à l'époque pour ce type de pêche, JF me tend une canne de type lancer lourd pour la journée (une vrai trique!) et un moulin (reel pour mes amis québécois!) garni de tresse de 70 lbs test... agrémentée d'un bas de ligne en fluorocarbone de 130 lbs test (que Raphaël Nadal aurait trouvé trop gros pour son cordage de raquette!) avec, à l'extrémité, un émerillon qui aurait pu servir à accrocher un luminaire! Trouvant le matériel disproportionné, même si on a affaire à du gros fish, JF, prônant la remise à l'eau de ses prises, m'explique que des études ont démontré qu'un musky dont le combat est écourté a plus de chance de survie. En effet, c'est un poisson extrêmement nerveux qui, si le combat s'éternise, produit énormément d'acide lactique qui peut provoquer, à terme, sa mort. Aujourd'hui encore, je n'ai pas vu d'études sérieuses sur le sujet, je vais fouiller pour faire un article là-dessus. Le premier leurre utilisé... un spinner bait format géant!

Un peu perplexe donc devant le matériel utilisé, je m'attèle cependant à la tâche! Je ne suis pas vraiment habitué à pêcher avec des moulinets à tambour tournant mais j'apprends vite! Ah... autre chose... la vitesse de récupération du leurre! JF me dit «Si tu as l'impression de reeler (mouliner) vite... reele encore plus vite!». Vraiment à l'opposer d'une pêche fine et discrète que l'on pratique bien souvent en France pour le brochet, là il faut garocher un énorme amat de métal ressemblant à un spinner bait muni d'un hameçon digne de la prothèse de capitaine Crochet et le treuiller le plus vite possible!

Le terrain de jeu se compose de hauts-fonds parsemés de potamots, une plante particulièrement appréciée du maskinongé, dense, mais pas trop! Je suis patient, je ne m'attends pas à grand chose de la journée tout en sachant que la prise d'un gros maskinongé reste quelque chose d'exceptionnel et que cette journée avec deux spécialistes me permettra, au pire, d'en apprendre plus sur les moeurs de ce magnifique ésocidé.

Mais, bizarrement, ce que l'on surnomme «la chance du débutant» va encore frapper ce jour-là, n'en déplaise à la malédiction séculaire de la banane!

Au bout d'une heure environ, je commence à être habitué au matériel et mes lancers sont plus précis. J'apperçois une trouée dans les herbiers et y balance mon méga spinner bait qui touche la cible avec fracas. Reel, reel, reel... je ramène mon leurre à toute blingue au raz de la surface, à la limite de le faire éclabousser hors de l'eau. C'est alors que l'improbable se produit : en une fraction de seconde, une masse blanche et verdâtre accompagnée de gerbes d'eau explose, contrastant avec la surface calme du fleuve Saint-Laurent... S'ensuit une énorme secousse dans mon avant-bras... Ma pupille se dilate et un réflexe, plutôt qu'un geste calculé, se produit instinctivement dans mon bras de pêcheur aguerri : le fameux GFB (Gros Ferrage de Bourrin!). Une chance que JF m'avait dit justement de ferrer fort, car la gueule d'un maski est extrêmement dure!
«Pendu!»

Pendu! J'ai peine à y croire, le temps s'arrête. Je reste concentré sur le fish et j'essaye de m'habituer à ce #$#!% ! de frein de moulinet que je ne maîtrise pas encore. Des violents coups de tête, ça part à droite, à gauche et... la ligne se relâche... non il ne va pas... mais oui, il me fait une magnifique chandelle! Ok... c'est comme un énorme pike, mais ça saute comme un bass! Hallucinant! Je reste concentré. Au bout de quelques minutes, je le sens prêt à me rencontrer" JF met l'épuisette - je devrais dire le filet de chalutier - à l'eau. Je glisse la belle (c'est une madame) dans l'épuisette et... je n'en crois pas mes yeux! C'est le plus gros poisson que je n'ai jamais pris, toutes espèces confondues! Je note les différences par rapport au brochet: contrairement au brochet, ce dernier ne semble pas avoir peur, il est au sommet de la chaîne alimentaire dans l'eau - n'en déplaise aux malheureux bipèdes terrestres que nous sommes - sa couleur particulière, sa caudale en forme de «V», la tête massive me faisant penser à un pitbull d'eau douce. Quelle bête magnifique! J'exulte!


Encore sous le charme de la bête, je me rends à peine compte que JF s'apprête à le hisser à bord pour une rapide photo. J'ai juste le temps de saisir la caudale. Avec du recul, j'aurais aimé tenir égoïstement la bête de mes propres mains comme j'ai pu tenir des centaines de brochets, mais tout se passe très vite et c'est mieux pour le poisson. On le place ensuite dans la civière afin de le mesurer... 50 pouces, c'est à dire 1m27! Son poids, quant à lui, est estimé à environ 35 lbs (16 kg). On sort ensuite la belle de la civière... je la tiens une dernière fois par la caudale et elle se propulse tel un éclair, nous gratifiant d'une belle éclaboussure attestant de sa parfaite condition physique, un release comme on les aime! Wow... je me dis à ce moment-là que le reste de la journée, c'est du bonus!
«50 pouces, c'est-à-dire 1m27!»

Mais voilà que, après l'improbable, l'inconcevable se produit!

Environ une heure plus tard, au détour d'un autre massif de potamot, j'aperçois une énorme masse qui, sans se précipiter outre mesure, sûre de sa capacité à détruire mon leurre quelle que soit sa vélocité, engloutit - je devrais dire aspire - mon énorme leurre (toujours le même spinner bait) d'un trait! J'ai à peine le temps de crier «Yep, fish on!» que la formidable reine du secteur - je suppose qu'il s'agit encore d'une femelle vu sa taille - replonge vers les abîmes semblant à peine prêter attention à ce qui se passe, comme si personne n'aurait l'effronterie de vouloir la déranger, comme si elle se disait «mmm, ça tire un peu sous ma 347e canine à droite, pas grave, je retourne dans mon abri... 
«sois doux avec» qui disait...
J'arrive cependant à la brider rapidement, aidé de ma trique et de ma tresse de 70 lbs test. Le sous-marin remonte proche du bateau, nous pouvons enfin apercevoir cette poutre dans un véritable «wow» d'exclamation généralisée dans le bateau. Je jubile, j'hallucine, je tremble, j'exulte... je suis dans un état de concience proche du nirvana du pêcheur. S'ensuit une gerbe d'éclaboussure me rappelant à l'ordre: le combat n'est pas terminé! On respire un grand coup et on reste concentré! JF me lance : « je pense qu'il est encore plus gros que le précédent...». C'est possible ça? Deux maski au dessus de 50 po à une heure d'intervalle? En plus, j'ai ramené des bananes sur le bateau!! 
«le sous marin remonte proche du bateau»
Je me refocalise sur le poisson, en fait, je suis toujours resté focalisé dessus. Sa lente approche du bateau laisse penser au capitaine JP que la bête est prête... Il me dit aussi «sois doux avec!». En moi-même, je me dis que je fais ce que je peux, mais pour le moment, c'est elle qui mène le combat comme elle le désire! Elle se décide à replonger en se dirigeant vers la proue du bateau puis se retourne finalement... C'est le moment! JP est prêt avec le filet... je ramène la belle dans l'épuisette. Elle nous gratifie d'un début de salto une fois dans le net en ouvrant sa gueule immense et pleine de dents, comme pour nous mettre en garde. Impressionné, je me dis que ma tête loge certainement entre ses mâchoires.
«ouvrant sa gueule immense et pleine de dents»
Je crois que je viens de battre à nouveau mon record personnel qui a tenu... 1 heure! et qui tient encore à ce jour... largement! Je nage en plein délire, je n'y crois même plus... ça dépasse mes plus beaux rêves de pêche! Après la photo d'usage (où, encore une fois, ma béatitude m'empêche de penser à prendre mon trophée dans une dernière étreinte pour une photo plus «stylée»), on passe au verdict dans la civière munie d'une règle à mesurer : 54,5 po soit 1m37! Pour
un poids tout en muscle estimé entre 40 et 45 lbs (environ 20 kg). JF me dit que ce poisson, s'il avait été pris l'automne, pourrait peser au moins une dizaine de lbs de plus. Wow... Je jubile! Je pose ma main sur sa tête pour immortaliser l'instant. Puis, c'est l'heure des adieux. Je la tiens une dernière fois, m'inquiète un peu de son manque de réaction, mais je suis enfin soulagé lorsqu'elle contracte ses muscles endoloris par l'effort pour se libérer de mon étreinte. Je suis aux anges, dans le bateau, l'euphorie nous gagne, je suis un pêcheur comblé!

«54,5 po soit 1m37!»
Et c'est en spectateur, avec un sourire jusqu'aux oreilles, que j'ai assisté aux prises de mon pote Raphaël qui, loin d'être en reste, a fait lui aussi deux maskinongés à la traîne de 44 et 46 po (1m11 et 1m17), en plus d'en décrocher un autre et de faire un brochet qu'on aurait certainement mesuré une autre journée, mais qui, s'il semblait petit comparé aux maskinongés, devait certainement faire entre 90 cm et 1 mètre... J'ai aussi échappé un énorme achigan à petite bouche qui avait réussi à happer mon énorme spiner bait. 






En conclusion, j'affirme qu'on peut consommer de la banane sans modération sur un bateau de pêche, foi de crinqué!








  



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